Pour la majorité d’entre nous, manger est un acte automatique et simple, une promesse de plaisir dont on profite pleinement. Pour beaucoup de personnes autistes, ces rendez-vous quotidiens ne sont guère réjouissants.

Décryptons l’acte de manger à travers ses 3 champs de compétences majeurs :La capacité motrice globale, un bon tonus musculaire, permettent de se tenir assis et droit, de bouger les membres supérieurs sans engager tout le reste du corps dans le mouvement. La motricité fine permet de manier son verre et ses couverts, porter les aliments à la bouche avec précision, d’être capable de mouvements simultanés différenciés et synchronisés (piquer, découper, etc.). Enfin, la motricité orale permet de garder l’aliment en bouche grâce à l’action coordonnée des lèvres, de la mâchoire et de la langue, de le mastiquer finement pour le déglutir en toute sécurité.

La capacité cognitive est l’ensemble des processus mentaux qui permet de percevoir, traiter et utiliser les informations. Reconnaître et différencier un aliment d’un autre, avoir une bonne compréhension du contexte et de l’environnement du repas permet d’y réagir et d’adapter au mieux son comportement.

La capacité d’intégration sensorielle permet de filtrer et traiter la multitude de stimuli aussi bien extérieurs, qu’ils soient visuels, sonores, tactiles, olfactifs et gustatifs, et intérieurs à notre corps (vestibulaires, intéroceptifs et proprioceptifs), tous en éveil au moment du repas.

Imaginez une seconde ne plus être protégé par ce filtre qui gère et équilibre les milliers de stimuli ressentis par votre corps lorsque vous mangez!

Vous voilà doté d’une telle acuité que vous vivez dans une réalité hyper-augmentée où chaque information sensorielle est perçue dans son intensité la plus forte. La perception visuelle de votre assiette de petits pois devient un champ de bataille où chaque élément est scrupuleusement analysé et comparé à tous les autres dans sa forme, sa taille et sa couleur. Essayez, c’est éreintant !
En découvrant votre assiette, après la vue, vient l’odorat ! Saviez-vous que ce sens méconnu influence à 75% la décision de goûter un plat ? En cas d’hypernosmie (hypersensibilité olfactive) comme chez beaucoup de personnes autistes, vous comprendrez aisément qu’elles puissent être écœurées au point de fuir à la vue d’un plat.

Avant la mise en bouche, le toucher du bout des doigts, des lèvres ou de la langue permet d’appréhender les textures (croquante, granuleuse, crémeuse, râpeuse, etc.), de tester la température des aliments et donner des indices sur ce que cela pourrait donner dans la bouche.

Mais souvent, les enfants autistes n’aiment pas toucher. Beaucoup détestent se salir.
Une fois en bouche, le goût se déploie grâce aux 3000 capteurs présents sur notre langue. Sensibles au froid, au chaud, aux différentes pressions, ils permettent de différencier un aliment dur d’un aliment mou et d’identifier les 5 saveurs (acide, amer, sucré, salé et umami).

Si certains enfants autistes refusent de mastiquer, ce n’est pas forcément lié à un problème moteur.

Déjà envahi d’innombrables stimuli à traiter, l’enfant est effrayé par la mastication car elle décuple de nouvelles sensations à chaque mastication : transformation de la texture par la salive, de la pression, de la température, de chaque saveur … Sans compter qu’à chaque action des dents, des molécules odorantes sont libérées et évoluent d’une seconde à l’autre. Chaque bouchée et mouvement de mastication est un nouvel étonnement !
Et l’ouïe, dans tout ce capharnaüm, n’est pas en reste : bruit de l’environnement au moment du repas, des personnes qui parlent, bruit des chaises, des couverts, des assiettes, des verres, le son des aliments que l’on mâche et que l’on déglutit… Sans compter les distractions de mouvements autour de la table et de l’enfant !
Manger n’est pas facile ; ça s’apprend ! Manger demande une trentaine de gestes et réflexes complexes moteurs et sensoriels entre les activités annexes (s’asseoir, porter d’une main, tenir ses couverts, ouvrir son pot de yaourt, tolérer l’aliment devant soi, etc.) et la prise alimentaire elle-même.